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COMMUNIQUE DE PRESSE. Front Anti-CFA : mobilisation dans 30 villes du monde le 11 février

COMMUNIQUE DE PRESSE. Front Anti-CFA : mobilisation dans 30 villes du monde le 11 février

DAKAR (Sénégal), le 2 février 2017 – A l’appel de l’Organisation Non Gouvernementale Urgences Panafricanistes (URPANAF), des militants et mouvements citoyens panafricains ont rendez-vous le 11 février, dans 25 pays et une trentaine de villes du monde, pour dire STOP au Franc CFA et à la présence militaire étrangère en Afrique.

Créé par décret le 26 décembre 1945, le Franc CFA est le fruit du système monétaire obsolète hérité de la colonisation. Il est en cours aux Comores et dans quatorze Etats en Afrique : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, République du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

Après la mobilisation historique du 7 janvier, les citoyens et mouvements panafricains se mobilisent à nouveau pour dénoncer les effets pervers de cette monnaie postcoloniale, réclamer la fin de la servitude monétaire et une vraie indépendance des pays africains.

En Amérique, comme en Europe et dans les pays de la Zone Franc CFA, de nombreuses actions ponctueront ces rassemblements transcontinentaux prévus dans une trentaine de villes*. Personnalités politiques, experts économiques, militants et représentants de la société civile débattront des principes et conditions pour sortir du Franc CFA et créer une nouvelle monnaie.

A Paris, des personnalités se réuniront autour du panafricaniste Kemi Seba : l’animateur Claudy Siar, Nicolas Agbohou, économiste et auteur du livre “Le franc et l’euro contre l’Afrique” et Toussaint Alain, ancien conseiller de Laurent Gbagbo. Pedro Biscay, Directeur de la Banque Centrale de la République Argentine, est l’invité spécial de la session parisienne.

Dans une quinzaine de villes d’Afrique, des hommes politiques et des universitaires prendront une part active à la sensibilisation. A Abidjan, Mamadou Koulibaly, professeur d’économie, auteur de nombreuses publications en matière économique et monétaire, traitera des transformations indispensables devant déboucher sur l’abandon du Franc des Colonies Françaises d’Afrique.

L’Amérique du Sud marque sa solidarité avec le Front Anti-CFA en se mobilisant lors de cette journée symbolique. A Buenos Aires, l’ex-président de la Banque centrale de la République Argentine Alejandro Vanoli dirigera un débat axé sur la sortie tricontinentale du système néocolonial financier.

Initié en 2016, le Front Anti-CFA n’a pas vocation à se limiter à une simple conférence, ni à un seul jour de mobilisation : il s’agit surtout d’un événement citoyen et militant, cogéré localement par les représentants de l’ONG URPANAF, dans une logique horizontale de convergence, afin d’assurer la participation du plus grand nombre.

Basée à Dakar, l’ONG URPANAF est chargée de coordonner le processus d’internationalisation du Front Anti-CFA. Elle assure le lien entre les différentes associations ou actions et appuie la réalisation de celles-ci. L’organisation identifie aussi les sources de financement des activités liées à la campagne Anti-CFA.

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Sur les réseaux sociaux
Les hashtags à utiliser : #StopFCFA #FrontAntiCFA #FrontAntiFCFA

Pour toute information
Presse : urpanaf@gmail.com
ONG et mouvements citoyens désirant se joindre à l’appel : urpanaf@gmail.com / Tél. : +33 6 51 32 26 95 (Whatsapp)

Les affiches-pays des diverses manifestations du 11 février 2017. Droits d’utilisation libres.

* Pays et villes abritant les manifestations du 11 février 2017
AFRIQUE : Dakar, Kaolack (Sénégal), Bamako (Mali), Ouagadougou (Burkina Faso), Niamey (Niger), Cotonou, Natitingou, Bohicon (Bénin), Abidjan (Côte d’Ivoire), Brazzaville (Congo), Yaoundé (Cameroun), Libreville (Gabon), Lomé, Kara, Dapaong (Togo), N’Djamena (Tchad).
EUROPE : Paris, Metz, Marseille, Bordeaux (France), Londres (Royaume-Uni), Bruxelles, Liège (Belgique), Lausanne (Suisse), Florence, Milan, Padoue, Rome (Italie), Francfort, Hambourg (Allemagne), Glasgow (Ecosse).
AMERIQUES & CARAÏBES : New York (USA), Port-au-Prince (Haïti), Montréal (Québec), Ottawa (Canada), Buenos Aires (Argentine), Basse-Terre (Guadeloupe, France).

Lettre au Pape Francisco afin de proposer l’organisation d’une Assemblée universelle des Églises, des religieux et des écoles spirituelles pour un nouvel ordre éthique et spirituel au niveau planétaire

Nous observons dans le monde entier une accumulation étonnante de richesse, dans laquelle seulement 1% de l’Humanité parvient à contrôler presque la totalité des flux financiers. Ce mécanisme s’effectue au prix de la généralisation de deux injustices: une injustice sociale avec des millions et des millions de pauvres, et l’injustice écologique avec l’épuisement des biens et des services de la Nature, mettant en danger la durabilité de notre Maison commune et de la Terre Mère. Face à ce paysage dramatique, le pape Francisco a favorisé l’émergence d’une initiative, basée en Argentine et ouverte à tous les continents, pour réfléchir sur ces contradictions: l’Observatoire de la richesse Pedro Arrupe – vers un nouveau système financier et communicationnel mondial.

En Argentine, le groupe initial a réuni des personnes notables telles que Perez Esquivel, Raúl Zaffaroni et d’autres personnalités. Nous invitons à présent les intéressés à soutenir à tous les niveaux cette initiative qui sera accompagnée personnellement par l’évêque de Rome, le pape Francisco. Les personnes intéressées peuvent nous envoyer leur demande d’adhésion à l’adresse e-mail suivante : observatoriopadrearrupe@gmail.com

Leonardo Boff

 

Lettre au Pape Francisco afin de proposer l’organisation d’une Assemblée universelle des Églises, des religieux et des écoles spirituelles pour un nouvel ordre éthique et spirituel au niveau planétaire

Cher Pape Francisco, Cher frère aîné,

Encouragés par vos déclarations, et en particulier par l’encyclique « Laudato Si – Pour la sauvegarde de la Maison commune », par votre touchant discours à l’ONU de l’année 2015, ainsi que par les trois messages adressés aux mouvements populaires mondiaux, nous nous permettons de vous écrire cette présente lettre pour vous faire part d’une suggestion mûrie au sein de différents groupes continentaux. Nous pensons qu’elle constituerait un pas en avant et un complément des documents que nous venons de mentionner.

Nous partons de la constatation, explicitée dans votre encyclique, que le système Terre et le système Vie sont sérieusement menacés. Comme le dit la Charte de la Terre, « soit nous allons vers un partenariat mondial pour prendre soin de la Terre et d’autrui, soit nous risquons notre propre destruction et celle de la diversité de la Vie » (Préambule).

Les églises, les religions et les écoles spirituelles, en particulier l’Eglise catholique, sont toutes porteuses de messages spirituels et éthiques. Elles disposent d’une responsabilité fondamentale dans le processus de prise de conscience de l’Humanité et des dirigeants politiques pour qu’ils réalisent les efforts nécessaires pour garantir un futur positif pour la Vie, la Terre Mère et notre civilisation dans son ensemble.

Nous savons, cher Pape Francisco, notre frère aîné, que vous partagez profondément ces préoccupations et que vous croyez au pouvoir de la créativité des êtres humains et, surtout, à la force vitale de l’Esprit Créateur, « amant souverain de la vie » (Livre de la Sagesse 11, 26). Pour toutes ces raisons, nous avançons cette proposition, car nous croyons que vous avez atteint une autorité spirituelle, morale, œcuménique et politique nécessaire pour initier ce processus au nom de toute l’humanité, comme vous l’avez initié auparavant avec l’encyclique Laudato Si.

Nous prions que l’Esprit vous éclaire afin d’organiser une Assemblée universelle des Églises, des religions et des écoles spirituelles et d’approfondir les questions concernant l’avenir de notre espèce, de la diversité de la Vie dans la seule Maison Commune dont nous jouissons. Nous imaginons cette initiative comme une concrétisation de vos inspirations et de vos illuminations.

Le thème général pourrait être formulé comme suit :

Un nouvel ordre éthique et spirituel dans l’économie, la politique, la société et pour chaque individu.

Nous vous proposons, à titre de suggestions, d’aborder les sujets suivants que nous considérons comme essentiels :

  • La spiritualité en tant que processus anthropologique qui a lieu dans chaque être humain.
  • L’eau comme un bien naturel, essentiel, commun et irremplaçable.
  • La durabilité de tous les êtres, en particulier de la nature et de la Vie.
  • La faim dans le monde et le droit à une alimentation saine et suffisante pour tous;
  • Les droits de la Terre Mère et de la Nature.
  • Les droits des Peuples à leur souveraineté et au respect de leurs cultures et leurs traditions.
  • Les droits humains individuels et sociaux.
  • La condamnation de toutes les guerres, notamment les guerres préventives, et l’élaboration de propositions pour la paix.
  • Le droit au plein épanouissement de la conscience
  • L’économie solidaire des biens communs de la Terre Mère et de l’Humanité.
  • L’urgence d’une gouvernance pluraliste de la planète Terre afin de mettre en œuvre ce qui a été dit à l’Académie pontificale des sciences dans le document : « Humanité durable, nature durable : notre responsabilité » : «une redistribution équitable des richesses est loin d’être irréalisable. Les bases technologiques et opérationnelles d’un développement durable existent et sont potentiellement accessibles ».

Il ne s’agit que de premières suggestions.

Il est évident que chaque groupe invité tentera d’apporter ses équipes de spécialistes dûment informés sur les questions proposées. L’invitation pourrait également inclure d’autres personnalités expertes et de bonne foi, quelle que soit leur appartenance religieuse ou spirituelle.

Cher Pape Francisco, ce n’est qu’après une mure réflexion et un temps conséquent de prière que nous avons décidé de vous faire parvenir cette proposition dont vous saurez sans aucun doute comprendre la valeur. Nous prions l’Esprit de vous éclairer et de vous inspirer afin de permettre que ce projet devienne une réalité à court terme, en songeant surtout aux sujets les plus vulnérables. L’Assemblée serait ouverte et sans date de finalisation.

Nous accompagnons cette lettre de nos prières et de nos souhaits, en vous faisant part de notre admiration et du soutien inconditionnel à vos initiatives universelles, humanitaires, courageuses et évangéliques.

Par l’Observatoire de la richesse pour un nouvel ordre financier et communicationnel Pedro Arrupe, Guillermo Robledo – coordinateur.

Les adhésions doivent être envoyées à : observatoriopadrearrupe@gmail.com

 

Onde de désobéissance monétaire et financière

Auteurs: François Soulard – Forum mondial démocratique; Guillermo Robledo, Eduardo Murua, Clelia Isasmendi – Observatoire de la Richesse Pedro Arrupe.

Sous l’impulsion du Front Anti-CFA en Afrique aura lieu le 11 février prochain une série d’activités coordonnées dans 25 pays et 3 continents pour dénoncer le colonialisme financier et monétaire et avancer des alternatives. Vers un front intercontinental pour un nouveau système financier et monétaire?

Le monde est en pleine convulsion et ne cesse d’exhiber presque tous les maillons de son archaïque architecture politique et économique. L’économie n’y échappe pas et le séisme financier de 2007-2008 nous a révélé à quel point la logique néolibérale continue profondément à hégémoniser les agendas politiques et à évacuer ses contradictions sous forme de projets réactionnaires, néocoloniaux et excluants. Les chiffres portant sur les inégalités mondiales1 fournis par le dernier rapport d’OXFAM reflètent en grande partie cette réalité.

Pourtant, la transition vers un monde multipolaire et les contradictions du capitalisme elles-mêmes provoquent un retour du politique dans le domaine du système financier et monétaire. Ces systèmes ont suivi un encastrement continu dans la mondialisation à partir de l’ordre économique scellé à Bretton Woods en 1945 et au cours des quarante dernières années de globalisation néolibérale. Une vague de désobéissance citoyenne, depuis les bases sociales, mais aussi au niveau national et régional se développe et promeut une re-signification des systèmes monétaires en les réorientant vers de nouveaux horizons sociaux et géostratégiques.

Un exemple inspirant de ce mouvement voit le jour depuis fin 2016 dans un ensemble de pays de la zone centrale et occidentale de l’Afrique, zone dans laquelle régit une sorte de système monétaire « fossilisé » depuis l’époque coloniale. Différents groupes d’activistes et secteurs de la diaspora africaine ont décidé de reprendre le débat autour de la « Coopération Financière en Afrique » actuellement configurée par trois blocs économiques2. Quinze pays ont intégré cette architecture monétaire à partir de 1945, avec la promesse de parvenir à une stabilité monétaire et une transition accélérée vers le développement économique. Deux mécanismes, bien connus sous d’autres latitudes, sont à la base de ce colonialisme économique : l’endettement – en lien avec main mise sur les budgets nationaux par le FMI et la Banque mondiale, et la « servitude » monétaire, toutes deux légitimées par un subtil dispositif d’influence communicationnelle et institutionnelle, dispositif que l’économiste africain Nicolas Agbohou3 n’hésite pas à comparer à un « nazisme » monétaire.

Les faits montrent que le mécanisme de contrôle qui a été mis en œuvre dans cette zone de coopération financière au cours des 70 dernières années est semblable à celui que le régime nazi a imposé au cours de la 2e guerre mondiale dans les pays européens occupés. En quoi cela se traduit-il aujourd’hui dans ces blocs économiques en Afrique? En substance, il s’agit d’une architecture de contrôle technique, institutionnel et juridique, qui lie d’un côté l’émission monétaire effectuée en dehors de la juridiction des pays africains sous la manne de la diplomatie française ; et de l’autre, la maîtrise des flux monétaires sur la base de quatre mécanismes : la parité fixe entre l’euro et le franc CFA (qui agit comme levier d’austérité et dévaluation programmée); la centralisation des changes et les comptes d’opération placés sous tutelle du Trésor français (permettant de capter les devises africaines); la libre convertibilité du Franc CFA en euro (pour neutraliser la capacité d’émission monétaire sans qu’il y ait de convertibilité interne du franc CFA entre les trois blocs économiques africains); et enfin la libre transférabilité des capitaux africains en Europe (qui en définitive normalise la fugue de capitaux sur le plan institutionnel).

Sans aller dans les détails de cette ingénierie, les résultats sont éloquents et contrastent de toute évidence avec les questions de fond auxquelles sont confrontés les peuples d’Afrique subsaharienne : à savoir sortir de la marginalité économique et intégrer le monde multipolaire avec un projet africain et donner un avenir à un continent dont la population double tous les 25 ans et qui se compose à 70% de jeunes de moins de 35 ans. Beaucoup de ces quinze pays figurent aujourd’hui en bas de l’échelle de l’indice mondial de développement humain et sont pris dans la toile d’une spirale d’appauvrissement, ou plus exactement d’une spirale sophistiquée d’extraction de richesse et de subventions aux économies des pays développés. Rappelons que dans les années 60, le PIB par habitant de ces pays était au même niveau que celui de la Corée du Sud, du Cambodge ou du Vietnam. On estime que 50 milliards de dollars sont extraits de l’Afrique chaque année (l’équivalent de 3% du PIB du Mali, 1% du Sénégal, 6% de la Côte-d’Ivoire)4, dépassant le volume de l’aide publique au développement fournie par les pays industriels.

Par ailleurs, les économies de l’Afrique subsaharienne sont fortement « primarisées » et balkanisées, prisonnières du dogme orthodoxe préconisant le contrôle de l’inflation, peu aptes à consolider des relations commerciales intra-régionales (15% des transactions économiques se font régionalement) et à donner une plus grande cohérence au projet naissant de bloc continental esquissé par l’Union Africaine. En fin de compte, comme le rappelle les activistes de ce mouvement citoyen africain, le troc d’une souveraineté politique pour une soumission économique au moment des indépendances a fini par saboter la base même de la souveraineté nationale. Le cycle actuel de la déflation mondiale et de la dévalorisation des matières premières ouvre d’ailleurs de nouvelles brèches dans ce schéma économique.

Comment cette servitude monétaire ait-elle pu perdurer au cours du temps alors que d’autres pays africains ont su emprunter d’autres voies ? La stabilité monétaire établie sur l’euro a été un facteur important. Le poids de la realpolitik postcoloniale et du pacte d’allégeance en échange de protection diplomatique est également une variable significative. Mais rappelons que bien que plusieurs pays soient temporairement sortis de l’union monétaire – comme le Mali, le Togo, la Guinée Conakry et la Mauritanie (cette dernière l’ayant quitté définitivement), les dirigeants africains qui se sont rebellés contre l’ordre colonial ont été renversés par la force militaire ou des pressions de tout ordre. Les derniers exemples en date sont ceux de l’ancien président Mouammar Kadhafi en Libye, promoteur d’une monnaie et d’un projet panafricain, et Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, moteur d’une nationalisation du système financier dans un pays qui participe à hauteur de 40% de la masse monétaire du bloc sous-régional.

Mais il faut aussi reprendre l’analyse des économistes Nicolas Agbohou et Bernard Lietaer lorsqu’ils soulignent que les systèmes monétaires avaient été conçus le siècle dernier dans la claire conscience de constituer un facteur d’homogénéisation et de création de monopoles au service du pouvoir central, conscience qui aujourd’hui semble avoir été fortement diluée au cours du temps pour différents acteurs sociaux et pour la citoyenneté en général. La monnaie est bel et bien un « fait social total », relationnel, économique, politique, spirituel, comme le suggère l’anthropologue Marcel Mauss. Pourtant, elle est construite aujourd’hui comme un « objet institutionnel non identifié » dans les sociétés africaines, c’est dire comme un élément abstrait, privatisé et autoréférentiel, très éloigné de la sphère civique et politique.

Cette question n’est pas vraiment nouvelle dans la vie politique africaine. Depuis la conférence de Bandung avec les pays non-alignés jusqu’aux processus d’indépendance et de libération nationale, la souveraineté monétaire a toujours été mise à l’ordre du jour et s’est heurtée aux rapports de force du moment. Mais la jeunesse africaine, mobile et transnationale, apparaît aujourd’hui porteuse d’un nouvel imaginaire. Beaucoup de jeunes Africains formés en Europe ou en Asie, de la même façon que les protagonistes du printemps arabe en 2011, ont appris à relativiser les dogmes, à ne pas se conformer de la fatalité des jeux géopolitiques et tentent d’explorer les failles d’un système confiscateur de futur et de richesse.

Ce panorama africain nous offre une matrice féconde pour comprendre les réalités d’autres zones centrales ou périphériques de l’économie mondiale. Dans le cas de l’Amérique latine, un profond phénomène d’exclusion monétaire, d’instabilité financière et d’abus de position dominante du dollar sur les monnaies nationales est en vigueur, phénomène qui paradoxalement n’a pas pénétré plus profondément dans l’agenda des projets politiques progressistes de la dernière décennie, en dépit des multiples crises qui ont secoué la région dans les années 1990 et 2000.

Les pays latino-américains disposent dans leur majorité d’un droit constitutionnel à l’émission monétaire à travers leurs banques centrales et l’approbation par les Parlements des décisions budgétaires. Les blocs d’intégration politique et économique comme le MERCOSUR se sont consolidés et avec eux les échanges intra-régionaux. Mais le nœud du problème se pose en termes de dépendance à l’égard du dollar comme monnaie étrangère pour les transactions et l’accès au marché mondial (en l’absence d’une alternative monétaire régionale), et de perméabilité des structures financières vis-à-vis des monopoles productifs, commerciaux et communicationnels.

Concrètement, ces monopoles ont le pouvoir de définir et légitimer les prix de l’économie dans les principaux secteurs économiques, de convertir leurs bénéfices en devises étrangères et de les fuguer à l’étranger dans un réseau de 52 paradis fiscaux. Ils peuvent mettre en œuvre tout cela avec la complicité ou la résistance de l’Etat, en fonction de la nature des forces politiques, de certaines nuances formelles et du niveau de politisation de la question financière. Mais en fin de compte, une trame systémique d’extraction économique et d’érosion de justice sociale opère sur le plan factuel et formel, sur un mode similaire à celui que nous avons vu dans le cas africain.

Historiquement, les économies latino-américaines ont connu des cycles de crise bancaire qui ont affaibli les devises nationales et ont engendré une concentration en monnaie étrangère, avec un net impact sur la dé-bancarisation, la perte d’épargne nationale, la difficulté d’accès au crédit et la spéculation financière. Ces écueils ont amené à consolider les monopoles économiques. Là aussi, le volume de fugue des capitaux au niveau régional défie les limites de l’imaginaire : près de 430 000 millions de dollars quittent chaque année le continent5. A titre de comparaison, durant l’année 2015 environ 158 000 millions de dollars entraient en investissement étranger. Ramené à une période de 40 ans en Argentine, champion régional de ce bi-monétarisme néocolonial, il s’agit d’une somme équivalente à 900 milliards de dollars qui a quitté le territoire national (réduisant d’un facteur 12 le montant des recettes fiscales de l’Etat6).

Alors que les gouvernements populaires étaient parvenus à confronter dans une certaine mesure les monopoles financiers et économiques après la rupture de l’Accord de libre-échange des Amériques (ALCA) en 2005, l’extraction systémique de capitaux a continué à opérer comme un profond facteur profond d’érosion de l’Etat et du dynamisme économique. Quand la « prospérité des commodities » a décru avec la chute du cour des matières premières, les pouvoirs économiques concentrés ont relancé un plan de déstabilisation des trois pays de l’axe Caracas-Brasilia-Buenos Aires et tentent à présent de réinstaller de vieux schémas néolibéraux. Dans la pratique, les monnaies régionales ont été dévaluées de plus de 30% en moyenne en 2014 et maintiennent un rythme soutenu de dépréciation par rapport au dollar. De grandes masses d’endettement extérieur ont été souscrits et l’appel aux investissements étrangers reconfigurent un contexte de dépendance économique.

C’est dans ce sens que l’onde de monnaies locales et complémentaires émergentes dans différentes régions et amplifiées par la crise financière de 2007-2008, devient un mouvement significatif pour contester l’ordre unimonétaire dominant. Des milliers de monnaies locales et de systèmes d’échange prospèrent actuellement en Europe et dans le monde, occultées par les médias hégémoniques et s’opposant à l’unitarisme monétaire en vigueur dans les cadres nationaux. Une récente étude publiée dans la revue Alternatives Economiques portant sur environ 40 expériences de monnaies locales en Europe nous montre comment se redéfinissent ici et maintenant les imaginaires assignés à la monnaie. Cette étude montre que celles-ci s’orientent vers la reconstruction et la réparation territoriale (78% des expériences), la consolidation des liens sociaux (61%), la consommation responsable et la transition productive (51%), la démocratisation de la monnaie (49 %) et la stabilisation de la finance (49%).

Les communautés d’échange qui sont créées autour de ces monnaies sont relativement délimitées, localisées et parfois fragiles dans leur capacité à conduire dans le temps un projet monétaire. Bien que les volumes économiques en circulation soient à des années lumières de ceux brassés dans la finance internationale, le saut qualitatif qu’elles proposent est fondamental. Elles confrontent les monopoles de l’imaginaire, du sens commun et les fonctions classiques de la monnaie. L’un de leurs défis est clairement de renforcer la capacité de mobilisation populaire et de construire des articulations institutionnelles (notamment de payer des impôts ou des services dans la monnaie locale). Ce mouvement micro-monétaire n’a pas de leadership centralisé, mais il possède déjà des formes flexibles d’interconnexion (théoriques, sociales, territoriales).

D’autres mouvements liés à cette désobéissance citoyenne prennent forme avec des initiatives d’occupation des banques (Occupy Wall Street ou les «Faucheurs de chaises »), dans le boycott de certains groupes financiers impliqués dans des scandales fiscaux ou dans l’économie noire des énergies fossiles, ainsi qu’à travers la filtration des secrets financiers (LuxLeaks, Swissleaks, Panama Papers) et la résistance aux accords de libre-échange. Ces initiatives sont nécessairement voués à se développer dans l’avenir. Ce que nous observons à la lumière des luttes des mouvement pour une autre économie qui se sont développés au cours des 30 dernières années, est que la somme d’une multitude d’expériences alternatives est loin de produire un changement systémique. Dans la transition géo-économique actuelle, où la dé-dollarisation de l’économie mondiale constitue l’un des épiphénomènes de cette transition, les réseaux civils et les mouvements sociaux sont appelés à promouvoir un nouvel horizon de débat sur la production et la circulation des richesses.

La situation actuelle est celle d’une capture du système financier par les groupes concentrés et les puissances coloniales qui organisent tant légalement qu’illégalement le transfert de volumes faramineux d’une richesse mondiale qui n’a jamais cessé de s’accroître au fil des années. Ce système opère en particulier sur la population du Sud global où se distribue environ 80% des ressources naturelles de la planète et sur la classe moyenne transnationale plongée depuis plusieurs décennies dans un cycle de récession. Rappelons à ce titre que 42 millions de personnes sont sorties de la classe moyenne dans les pays industrialisés depuis la fin de la Guerre Froide et qu’en 30 ans, la part des salaires dans le PIB de tous les pays occidentaux s’est réduite en moyenne de 10%. Outre l’accumulation de niveaux sans précédent de concentration de la richesse, le colonialisme financier fait en sorte que les peuples supportent 98% de la charge totale des impôts alors que le capital n’y contribue qu’à hauteur de 2%.

Toutes les sociétés sont physiquement dotées de plus en plus de richesse et simultanément appauvries par un système monétaire fondé sur le dollar et géré par 8 banques étrangères et 200 sociétés transnationales. Comme l’a à nouveau affirmé avec audace le Pape Francisco et la diaspora africaine dans sa désobéissance monétaire contre le Franc CFA, la monnaie est un instrument central de souveraineté et de justice sociale. Il est temps de remettre à l’ordre du jour la construction d’un nouvel ordre monétaire et financier mondial, en mettant au centre le débat sur les principaux outils de répartition des richesses : les budgets nationaux, les impôts et l’émission monétaire.

(1) Rapport Une économie des 99% https://www.oxfam.org/es/informes/una-economia-para-el-99 , janvier 2017.
(2) L’Union Economique et Monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA), la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) et l’Union des Comores (UC).
(3) Le Franc CFA et l’Euro contre l’Afrique, Nicolas Agbohou. Editions Solidarité mondiale, 1999.
(4) Selon le rapport Thabo Mbeki, présenté et adopté lors du 24e sommet de l’Union africaine les 30 et31 janvier 2015 à Addis-Abeba, l’Afrique a perdu au cours des cinquante dernières années, plus d’un milliard de dollars à travers les flux financiers illicites. http://www.francophonie.org/IMG/pdf/fluxfinanciersillicites_rapport_francais.pdf
(5) Le montant de l’évasion fiscale s’élève à 350 000 millions de dollars par an selon les études de la Commission Économique de l’Amérique Latine (CEPAL), auxquels s’ajoute 180 000 millions de dollars de transfert pour les balances de paiement par voie légale.
(6) Selon le calcul de la Commission économique pour l’Amérique latine – CEPAL.